Le président israélien Isaac Herzog s'est rendu en visite en Turquie. L'ordre du jour de son entretien avec le président turc Recep Tayyip Erdogan porte essentiellement sur la coopération énergétique. Ankara compte relier son voisin méditerranéen à son infrastructure gazière. Cela prend une nouvelle signification dans le contexte des événements en Ukraine. Bruxelles a déjà demandé aux Israéliens leur position quant à une éventuelle substitution des hydrocarbures russes en Europe.
Il s'agit de la première visite du président israélien en Turquie depuis presque 15 ans. Le dernier à visiter la république dans ce statut était Shimon Peres, qui avait accepté l'invitation du roi turc Abdullah Gül en 2007.
Au niveau officieux, Israël indique qu'aujourd'hui il existe de nombreuses raisons de rétablir les relations avec la Turquie. Ainsi, l'aspiration de l'administration Biden à relancer à tout prix l'accord nucléaire avec l'Iran pousse les Israéliens à s'inquiéter pour l'équilibre en termes de sécurité régionale. En l'occurrence, le partenariat avec Ankara est perçu comme un instrument d'endiguement des intérêts de Téhéran.
Certains analystes pensent que les deux puissances méditerranéennes ont trouvé des points de convergence sur fond de 44 jours de guerre au Haut-Karabakh en 2020, où le point commun entre eux était la proximité avec l'Azerbaïdjan dans le secteur militaire et technique. Après quoi, c'est la soudaine chute du gouvernement de Kaboul en 2021 qui a été un catalyseur important. "Le retrait des forces américaines d'Afghanistan a mis à nu pour les acteurs régionaux la volonté des États-Unis de réduire leur présence dans la région ainsi que le fait qu'ils devaient travailler ensemble pour maintenir l'ordre régional", écrit l'experte Gallia Lindenstrauss de l'Institut d'études sur la sécurité nationale (INSS) de Tel Aviv.
Israël et la Turquie ne suspendaient pas le commerce bilatéral pendant toutes ces années. Les échanges ont atteint en 2020 la somme record de 5,75 milliards de dollars. Dans ce contexte, Ankara fait partie des dix plus grands partenaires commerciaux de l'État hébreu. D'après l'Institut Brookings, c'est la découverte par Israël de nouveaux gisements de gaz qui était perçue comme un tournant dans le cadre d'une éventuelle réconciliation, parce qu'il est tout à fait possible d'acheminer les hydrocarbures en Turquie, puis dans le sud de l'Europe. Ces dernières années, les projets de construction d'un tel gazoduc étaient régulièrement reportés, mais la pression exercée par le confit en Ukraine sur les marchés énergétiques remettra probablement cette idée sur le tapis, prédisent les chercheurs américains.
Cette semaine, les sources du Times of Israel au ministère israélien de l'Énergie ont rapporté que des responsables de Bruxelles avait demandé à Tel Aviv si ce dernier pouvait envoyer du gaz naturel liquéfié (GNL) en Europe. Les interlocuteurs du quotidien ont noté que pour l'instant le ministère étudiait cette requête, mais, selon eux, la capacité d'Israël de soutenir l'UE d'une quelconque manière dépendra du lancement de l'exploitation du nouveau gisement gazier Karish. Cela devrait arriver cet automne.
Oded Eran, ancien ambassadeur d'Israël auprès de l'UE et ancien conseiller du sous-comité des Affaires étrangères du Knesset (parlement), a noté que l'itinéraire turc pour les livraisons de gaz israélien était perçu depuis longtemps comme la meilleure solution possible. "Néanmoins, il existe plusieurs obstacles, tels que les difficultés politiques avec Chypre et la Syrie, explique le diplomate à la retraite. La création d'un gazoduc près de Chypre posera des problèmes. Sa construction près de la côte syrienne posera également des problèmes."
À noter également que, selon Oded Eran, le gaz israélien ne pourra certainement pas substituer le gaz russe sur le marché européen.
Alexandre Lemoine
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