03.06.2022
Le chancelier allemand Olaf Scholz a annoncé le 1er juin qu'il comptait livrer à l'armée ukrainienne des systèmes antiaériens IRIS-T. Cette décision a immédiatement suscité une attention particulière, car c'est la première fois qu'il est question de livrer à l'Ukraine des systèmes antiaériens occidentaux. Jusque-là, Kiev recevait seulement des armes portatives. Toutefois, ce scoop fut de courte durée, car le Bundeswehr a presque immédiatement annoncé ne pas disposer de tels systèmes dans ses entrepôts.
"Plus récemment, le gouvernement a décidé que nous livrerions le système de défense aérienne le plus moderne dont dispose l'Allemagne, à savoir l'IRIS-T", a déclaré Olaf Scholz au Bundestag.
La déclaration du chancelier allemand suscite de nombreuses questions. Avant tout parce qu'il s'agit d'un prototype qui n'est pas fabriqué en série, ses essais se sont terminés seulement en janvier 2022. Le système antiaérien de faible portée (jusqu'à 10 km) IRIS-T SLS a été acheté en quantité réduite par la Suède et la Norvège (pour l'intégration avec le système antiaérien NASAMS). L'Égypte a été le premier acheteur de la version SLM en 2018, mais les livraisons physiques n'ont toujours pas eu lieu. L'Allemagne elle-même n'achetait pas ce système en série. Par conséquent, dans le meilleur des cas, Berlin pourrait livrer à Kiev un prototype dont l'opérationnalité est remise en question. Néanmoins, cette éventualité a été annoncée, et il faut la considérer attentivement.
Le système IRIS-T SLM est construit sur la base du missile air-air IRIS modifié à guidage infrarouge et un pointage radiocommandé supplémentaire (combiné à une correction inertielle par satellite) sur la trajectoire principale. La portée de tir dans la version sol-air atteint 40 km avec une altitude jusqu'à 20 km. Il s'agit d'un projet commun de plusieurs pays européens menés par l'Allemagne, et le développeur principal est la compagnie allemande Diehl Defence. Les livraisons de série de la version aérienne ont commencé en 2005. Aucune version de ces systèmes antiaériens n'a été utilisée dans les activités militaires, son efficacité opérationnelle reste donc inconnue.
Le fait en soi qu'un pays de l'Otan ait annoncé la possibilité de livrer des systèmes antiaériens à l'Ukraine pourrait indiquer que la DCA ukrainienne, basée principalement sur les systèmes soviétiques S-300PS/PT, Bouk-M1 et Osa-AK/AKM, a cessé d'exister comme un tout. Il reste des systèmes disparates qui représentent certes une menace. Mais ils peuvent couvrir seulement des sites isolés, en agissant de facto en organisant des embuscades. De nombreux lance-missiles sol-air portatifs soviétiques et occidentaux représentent une menace principalement pour les hélicoptères et les avions d'attaque au sol, mais les systèmes de défense des aéronefs russes permettent de réduire significativement l'efficacité de ces armes.
C'est pourquoi la remise d'une ou deux batteries d'un système stationnaire ne pourrait signifier que la couverture d'un site important, probablement en profondeur sur le territoire ukrainien, et ce, contre l'aviation russe pilotée, et non contre des armes de haute précision. La tentative de les déployer près de la frontière entraînerait leur destruction rapide par l'aviation russe. Et leur fourniture ne changerait en rien la situation globale sur la ligne de contact entre les forces ukrainiennes et russes.
Reste également à savoir comment le personnel ukrainien sera formé pour utiliser ce système. La formation prend un certain temps, et dans le meilleur des cas les opérateurs ukrainiens seront prêts en 2023. La probabilité d'une livraison en "wet leasing" (avec du personnel) semble faible en l'absence d'opérateurs en Allemagne et vu les risques politiques colossaux.
Ce qui soulève une question logique: "Quel en était le sens?" Plusieurs réponses sont possibles.
Premièrement, c'est une insinuation d'Olaf Scholz à la réticence à provoquer une escalade en livrant à l'Ukraine des armes effectivement significatives. Malgré de nombreuses déclarations, des obusiers PzH-2000, des véhicules de combat d'infanterie Marder 1A3 et des véhicules antiaériens Gepard n'ont toujours pas été livrés à l'Ukraine. Les IRIS-T SLM se sont simplement ajoutés à la collection des promesses allemandes impossibles à tenir.
Deuxièmement, il pourrait s'agir d'un nouveau jeu des Allemands. Son sens étant que ce système pourrait être livré non pas à l'Ukraine, mais à un pays de l'Otan ou de l'UE pour qu'ils y envoient en échange des systèmes soviétiques. Il pourrait être question de la Grèce, de Chypre et de la Finlande, disposant de systèmes antiaériens russes de moyenne portée. Une chose similaire a été proposée à la Pologne et à la Grèce par rapport au matériel blindé.
Enfin, il pourrait tout simplement s'agir d'une campagne médiatique d'armes allemandes menée par Berlin profitant de la situation. Encore hier, seuls quelques spécialistes connaissaient ce système, alors qu'aujourd'hui le monde entier en entend parler. Et cela pourrait le promouvoir sur de nouveaux marchés, avant tout au Moyen-Orient ou en Asie.
Néanmoins, l'option de la remise à l'Ukraine d'un système antiaérien occidental moderne de moyenne portée ne peut pas être exclue.
Alexandre Lemoine
Les opinions exprimées par les analystes ne peuvent être considérées comme émanant des éditeurs du portail. Elles n'engagent que la responsabilité des auteurs
Abonnez-vous à notre chaîne Telegram: https://t.me/observateur_continental