15.09.2022
Le président français, Emmanuel Macron et le chancelier allemand, Olaf Scholz, veulent une autonomie stratégique européenne, mais ils se heurtent à la réalité de la faiblesse militaire de l'UE et de l'absence d'une stratégie existante pour réunir les pays de l'UE ensemble dans un leadership militaire réel et efficace tout comme autonome.
Pour le moment, les plans d'une réalisation militaire européenne forte se limitent à des discours et des décisions sur du papier ou à des envolés lyriques sur la puissance de cette UE. Les Etats-Unis ont toujours la main de fer sur la défense de l'UE.
Le conflit en Ukraine, la faiblesse militaire de l'Europe et le rôle démesuré des Etats-Unis dans la réponse occidentale ont conduit de nombreux observateurs à conclure que le moment est enfin venu pour l'UE de prendre un rôle stratégique autonome. Observateur Continental a signalé la volonté de l'Allemagne de se positionner comme leader de l'UE. Dans son discours à Prague, Olaf Scholz a déclaré officiellement à la communauté internationale la cand idature de Berlin au rôle de leader stratégique de l'UE. Sans ambiguïté, Berlin a affirmé que l'UE doit se transformer en une union «géopolitique» capable d'actions «décisives» «à l'échelle mondiale».
Le chancelier allemand a proposé de former une «force militaire de réaction rapide européenne» d'ici 2025, que l'Allemagne entend diriger. Le chef du gouvernement allemand a également appelé à la création d'un système unifié de défense aérienne en Europe. Toutefois, il a toujours signalé la soumission aux Etats-Unis et à l'Otan en appelant à une UE géopolitique plus forte, plus souveraine car Washington s'oriente sur la Chine dans l'Indo-Pacifique: «Aujourd'hui, l'Otan est plus unie que jamais et nous prenons des décisions politiques en tant qu'alliance transatlantique. Mais avec tout ce que le président Biden a fait pour notre partenariat, nous savons aussi que Washington se concentre également davantage sur la concurrence avec la Chine et sur la région Asie-Pacifique. Il en sera de même des futures administrations américaines, peut-être plus encore».
L'autonomie stratégique européenne est séduisante en théorie. Après tout, l'UE compte près de 450 millions d'habitants, un PIB de 18 000 milliards de dollars et plus de 200 milliards de dollars de dépenses de défense de ses pays membres. En pratique, cependant, l'idée a un défaut fatal: elle rendrait l'Europe plus faible et moins sûre en repoussant les Etats-Unis sans augmenter la puissance européenne. Au lieu de cela, les pays de l'UE devraient continuer à parier sur Washington et le lien transatlantique. L'Occident est leur avenir, comme l'ont montré le conflit en Ukraine et la réponse étonnamment énergique d'un Occident commun. A première vue, il peut être déconcertant de comprendre pourquoi un continent riche et puissant comme l'UE a besoin des Etats-Unis pour sa sécurité et sa défense. Washington peut aussi se poser cette question.
Malgré toute sa taille et sa puissance économique, l'UE et ses 27 Etats membres n'ont pas l'échelle, la rapidité et la sophistication de la puissance de feu américaine. Malgré leurs promesses à Washington et des uns aux autres de renforcer leurs armées, les Européens seraient incapables de reproduire les capacités américaines, d'unifier leurs forces sous un commandement unique ou de parvenir à un accord sur des questions de sécurité existentielles pendant très longtemps.
Observateur Continental a déjà averti que le projet SCAF (avion de combat de sixième génération) était en train de sombrer et celui du nouveau char franco-allemand, le «Euro Main Battle Tank» (EMBT), était tombé sous la direction politique de l'Allemagne. Là où les Etats européens se sont battus au cours des trois dernières décennies – Afghanistan, Bosnie, Irak, Kosovo et Libye – le rôle des Etats-Unis a été décisif.
En Ukraine, les Etats-Unis fournissent la grande majorité de l'aide militaire: plus de 10 milliards de dollars contre seulement 2,5 milliards de dollars de la part de l'UE. Washington fournit également plus de 10.000 soldats pour renforcer le flanc est de l'Otan, contre 1.500 à Berlin et 1.000 à Paris. Cette division du travail, où la part de l'Europe dépasse rarement 20%, est remarquablement stable depuis la fin de la guerre froide. A cela s'ajoute les divisions entre Paris et Berlin pour la constitution de la force militaire dite européenne.
L'Europe pourrait faire plus mais reste réticente. La France a récemment retiré environ 5.000 soldats du Mali et du Sahel et elle pourrait les déployer vers les membres de l'Otan de l'Est. Cette décision reste le secret des partisans de l'autonomie stratégique au point de se demander pourquoi l'UE aurait besoin d'une formation militaire spéciale attitrée au lieu d'y envoyer ses troupes selon les pays? La même réflexion s'applique à l'aide militaire à l'Ukraine. L'Allemagne, la France et l'Italie combinées ont moins promis à l'Ukraine que la Pologne à elle seule, même si la somme du PIB des trois pays est presque 14 fois plus important. Pour parvenir à une véritable autonomie stratégique, l'UE devrait remplacer le parapluie nucléaire américain, ce qui n'est pas non plus une mince affaire.
Les partisans de l'autonomie militaire pointent du doigt l'arsenal nucléaire français, qui pourrait, en théorie, être étendu à d'autres pays de l'UE et même étendu pour contrer celui de la Russie. Mais, est-ce que la France serait d'accord de voir sa force stratégique nucléaire tomber sous la tutelle d'autres pays de l'UE, dont l'Allemagne?
Le Foreign Policy tranche durement dans cette réalité européenne car selon Bart M. J. Szewczyk, membre au German Marshall Fund, «des questions similaires se posent pour à peu près toutes les autres décisions importantes en matière de sécurité, où les Européens manquent tout simplement d'expérience pour décider et mener des guerres». «Qui contrôlerait une armée de l'UE?», demande-t-il en posant la question si l'Allemagne – sans parler de la France – accepterait d'être bloquée par la Hongrie (si la guerre nécessite une décision unanime parmi les membres de l'UE) ou d'être mise en minorité (si la majorité suffit)? Bart M. J. Szewczyk rappelle que le système des institutions en UE peut entraîner des blocages car quels électeurs de quel pays toléreraient que leur gouvernement transmette littéralement des décisions sur la vie et la mort de milliers de citoyens aux institutions de l'UE?
«Malgré toutes ses imperfections, la sécurité collective à travers l'Otan et l'Occident reste la meilleure réponse à ces questions», soulève-t-il et pour les Etats-Unis, la mis à disposition d'un parapluie de sécurité en Europe leur confère un rôle particulier dans l'élaboration de la politique sur le continent, tout comme une capacité à mobiliser des alliés pour une action commune qui leur ferait autrement défaut. Cela inclut, surtout, l'Indo-Pacifique.
Observateur Continental avertissait que l'administration Biden, avant même le conflit en Ukraine, a exigé que l'Allemagne et les autres membres de l'UE abandonnent leurs ambitions stratégiques en faveur de la «cause commune» de l'Occident.
Il est devenu plus clair depuis le conflit en Ukraine que les deux théâtres (Ukraine et Indo-Pacifique) sont liés, que ce soit par la déclaration de Pékin d'un partenariat «illimité» avec Moscou cette année ou les parallèles entre le révisionnisme de la Russie sur l'Ukraine et celui de la Chine sur Taïwan. Dans ces conditions, les Etats-Unis auront besoin du soutien européen s'ils veulent contraindre l'économie chinoise, ce qui suggère qu'il y a un grand marché stratégique à conclure. Pour Bart M. J. Szewczyk, «une alliance militaire flexible comme l'Otan, qui peut facilement former des coalitions changeantes entre ses 30 membres, est beaucoup plus efficace qu'une armée centralisée de l'UE qui ne pourrait jamais l'être», surtout en cas de changements politiques aux Etats-Unis ou dans des pays de l'UE.
Les divergences profondes entre les pays de l'UE dans les questions politiques et économiques de défense et de leaderhip font déjà sombrer les idées d'une armée européenne sans tenir compte de la capacité technique en elle-même.
Pierre Duval
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