26.10.2022
Au printemps et à l'été 2022, la France a connu des élections présidentielles et législatives, qui ont marqué le début du prochain cycle politique de cinq ans. A la suite de batailles électorales, l'actuel chef de l'Etat, Emmanuel Macron, a conservé le pouvoir. Mais, il fait face à des travaux colossaux.
Emmanuel Macron a, avec son parti Renaissance, de nouveau reçu le plus grand groupe à l'Assemblée nationale, mais sans majorité absolue. Maintenant que la période électorale est terminée, les dirigeants de la Ve République sont contraints de revenir à la résolution des difficultés socio-économiques actuelles qui s'aggravent de plus en plus sous l'influence de l'environnement international. Ne voulant manifestement pas passer son second mandat dans le statut de «canard boiteux» Emmanuel Macron a esquissé un vaste programme de restructuration des zones les plus problématiques via le Conseil national de la Refondation en consultant numériquement les citoyens. Mais, les actions du président français rencontrent déjà le mécontentement de l'opinion, dessinant les contours de nouvelles crises.
Principales orientations des réformes. La complexité accrue de la situation dans laquelle se trouve Emmanuel Macron est donnée par le fait qu'il est obligé d'initier des changements non pas de manière séquentielle, passant d'un domaine à un autre, mais simultanément dans des directions différentes. C'est ainsi qu'il a tenté d'agir en 2017, entendant mener à bien une modernisation globale de l'économie et de la société française, mais qui fut ralentie par des protestations des Gilets jaunes et par la pandémie de la Covid-19. Cet automne, la même approche doit être à nouveau utilisée, étant donné que les problèmes non résolus au premier trimestre s'accompagnent désormais de nouveaux défis.
Premièrement, la principale priorité de la politique du gouvernement a déjà été l'introduction d'amendements à la législation sur les retraites. Pour la première fois, Emmanuel Macron a tenté d'aborder ce sujet fin 2019, mais il a rapidement échoué en raison de la mauvaise élaboration de son propre projet, du mécontentement du public et de l'arrivée de la pandémie. De manière générale, l'idée du président était de remplacer l'ensemble des 42 régimes spéciaux en vigueur en France par un système à point unique, tout en faisant passer l'âge de la retraite effective de 62 à 64 ou 65 ans. Pendant la campagne électorale, le président s'est dit prêt à réviser certaines dispositions, mais il a continué d'insister sur la nécessité d'une réforme en tant que telle, jugeant le système actuel trop lourd et coûteux. Le projet de loi correspondant devrait être publié fin 2022 ou tout début 2023, de sorte que les paramètres exacts de la réforme par rapport à la version originale ne sont pas encore clairs.
Néanmoins, à l'heure actuelle, tout indique que le relèvement de l'âge que les autorités considèrent comme le moindre des maux par rapport aux solutions alternatives (surtout, une augmentation des prélèvements sur les salaires de la population active), restera très probablement la disposition centrale de la réforme. Selon les sondages disponibles, 80% des partisans du parti pro-présidentiel souhaiteraient mener à leur terme logique la discussion sur la question des retraites, dans laquelle 60% des républicains sont d'accord avec eux, grâce au soutien desquels le projet de loi aura une chance de passer. Dans le même temps, la situation dans l'ensemble du pays n'est pas si favorable: 55% des Français ne souhaitent pas revenir sur ce sujet par principe, 72% sont favorables à la poursuite de la réforme, mais toujours par d'autres moyens.
Deuxièmement, le gouvernement a été chargé de maîtriser la situation dans le secteur de l'énergie. Contrairement à l'Allemagne, la France est moins dépendante de l'approvisionnement en gaz russe et son mix énergétique national est traditionnellement dominé par l'énergie nucléaire. Cependant, la hausse mondiale des prix des hydrocarbures a toujours eu un effet négatif sur les entreprises et les ménages français sous la forme d'une hausse des coûts du carburant et des tarifs de l'électricité et du gaz. Le gouvernement a annoncé le prolongement en 2023 du bouclier tarifaire ce qui permettra de «limiter à 15% pour le gaz en janvier 2023 et 15% pour l'électricité en février».
Les autorités voient une solution à plus long terme dans un triple ensemble de mesures: favoriser le maximum d'économies d'électricité et de chaleur (dans les bâtiments des ministères et des services, dans les transports, etc.), prolonger la durée de vie des réacteurs nucléaires existants et la préparation de la construction de nouvelles centrales nucléaires (promesses d'Emmanuel Macron dès février 2022), le développement accéléré des énergies alternatives (le premier parc éolien offshore a été récemment achevé à Saint-Nazaire).
Troisièmement, les autorités envisagent la réindustrialisation, la relance dans le pays d'un certain nombre d'industries qui ont été réduites ou perdues en raison du transfert de la production vers des endroits où la main-d'œuvre est moins chère. Il est souligné que ces industries ne devraient pas être relancées sous leur forme antérieure, comme elles l'étaient dans les années 1980-1990, mais en tenant compte des exigences technologiques et environnementales modernes. En particulier, lors du Mondial de l'Automobile de Paris en octobre 2022, Emmanuel Macron a précisé que l'industrie automobile mettra l'accent sur l'augmentation de la production précisément grâce à des véhicules électriques qui traverseraient tout le cycle de production en France (l'objectif est de 2 millions de voitures par an d'ici 2030 ).
Parmi les nombreux exemples, il convient de citer le projet d'une usine de semi-conducteurs dans le département de l'Isère, la construction d'un nouveau terminal pour paquebots de croisière au Havre, la mise en service de nouveaux trains à grande vitesse TGV M, attendus en 2024 et la mise en exploitation minière d’ici 2027 d’un gisement de lithium dans l’Allier en France (centre) pour fabriquer des batteries de voitures électriques. Cela inclut les déclarations du président sur l'entrée dans une période «d'économie de guerre», c'est-à-dire, tout d'abord, l'expansion des commandes de l'Etat pour les entreprises de défense.
Quatrièmement, des changements majeurs attendent le secteur de l'éducation. Le président français veut réformer le système scolaire en le décentralisant donnant aux enseignants la possibilité de réviser avec plus de souplesse les programmes en fonction des performances des élèves tout en améliorant le salaire des jeunes enseignants et en supportant les formations professionnelles. La liste des domaines prioritaires concerne aussi la mise à jour du système d'assurance-chômage, l'élargissement potentiel des pouvoirs des gouvernements locaux, et l'aggravation des problèmes migratoires.
Toutes les réformes sont menées dans un contexte de mauvaise santé de l'économie du pays. La dette publique de la France s'élève actuellement à 114,5% du PIB, le chômage est de 7,4% et, surtout, l'inflation dépasse les 5% . Le budget 2023 récemment adopté, traditionnellement déficitaire pour la France, brosse un tableau tout aussi sombre d'un système de sécurité sociale déficitaire, d'une réduction de l'activité d'investissement et d'une absence de facto de croissance du PIB. Partant de là, Emmanuel Macron entend lancer le processus de reconstruction (perestroïka) le plus tôt possible, pour récolter quelques fruits dans un avenir proche, notamment, via le lancement du Conseil national de la refondation (CNR) Climat et Biodiversité qui réunit le gouvernement, les représentants des plus grands partis politiques, les syndicats, le patronage et les structures de la société civile. Il doit éliminer les nombreuses lignes de fracture qui imprègnent désormais la société française, mais qui rappelle sombrement son idée de «débat national» qui a permis à l'énergie de la contestation de s'éroder progressivement et finalement de réduire à néant les discours.
La question est de savoir si la perestroïka française va marcher. Les défis étant si immenses, la France risque de se déconstruire sans se reconstruire en atteignant un point de non-retour. La volonté d'avoir recours à l'article 49.3 de la Constitution qui permet de faire adopter un projet de loi par la force montre la faiblesse de l'actuel gouvernement français et l'enlisement de la France dans un système loin des slogans du CNR ou du «grand débat national» qui vantent la volonté du peuple.
Pierre Duval
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