31.01.2023
Le conflit russo-ukrainien a changé l'équilibre stratégique sur le continent européen et dans le monde entier. La déstabilisation de la situation pourrait entraîner une confrontation globale.
La poursuite de la crise en Ukraine conduira à un conflit global en Europe. L'absence de clarté quant aux délais de sa fin suscite des questions concernant la capacité de l'UE de maintenir son unité sur fond de hausse d'inflation et de conflit d'intérêts, avertit Al Mayadeen.
Depuis le début, les dirigeants occidentaux prédisaient que le conflit se retrouverait dans une impasse et cela forcerait la Russie à négocier pour éviter une guerre d'épuisement et, par conséquent, les États-Unis remporteront la victoire. Néanmoins, ils ne tenaient pas compte du scénario inverse si Moscou poursuivait l'escalade en renonçant à l'idée désavantageuse de négociations. Le conflit a une importance décisive pour la Russie et pour Washington, car le Kremlin serait vainqueur en mettant un terme à l'expansion de l'Otan vers l'est.
L'Europe renonce à sa propre armée
L'UE cherchait ces dernières décennies à occuper la position de la deuxième puissance mondiale après les États-Unis, et cela nécessitait de créer une alliance politique plus solide avec une politique étrangère et une armée communes. L'UE n'est pas devenue le principal acteur indépendant sur la scène mondiale, même si le Royaume-Uni, la France et l'Allemagne conservent traditionnellement une grande influence. Si les Britanniques craignaient la primauté de l'UE, la France faisait preuve d'hésitation dans les affaires internationales et l'Allemagne, principale force motrice économique de l'Europe, continuait de refuser de s'engager dans des missions militaires à l'étranger.
L'UE traverse des changements à cause du conflit russo-ukrainien. Sa population a été confrontée à de sérieuses difficultés économiques à cause du soutien à Kiev et d'une hausse des prix d'hydrocarbures. Tandis qu'aux États-Unis l'inflation s'élevait à 7,7% en novembre 2022, au Royaume-Uni, en Allemagne et aux Pays-Bas elle a atteint 11,1%, 11,6% et 14,3% respectivement. Quant à la crise énergétique, de sérieuses démarches ont été entreprises pour réduire la dépendance des livraisons russes en Europe, notamment sur le territoire allemand. Néanmoins, les pays baltes et plusieurs pays d'Europe centrale continuent de dépendre du gaz russe et ne veulent donc pas que le conflit perdure. De plus, ils sont très préoccupés par la perspective de l'usage de l'arme nucléaire.
Seule la Pologne voisine de l'Ukraine souhaite que le conflit se poursuive et la victoire contre Moscou, c'est pourquoi elle livre à Kiev beaucoup d'armes et de munitions. La République tchèque adopte une approche similaire. En outre, ces deux pays accueillent le plus grand nombre de réfugiés ukrainiens et dépensent une grande partie de leur PIB pour le conflit. En même temps, personne dans le camp occidental ne sait quand tout se terminera.
L'UE paye pour sa politique
En s'efforçant à renoncer aux hydrocarbures russes, les Européens ont commencé à acheter du gaz américain, mais quatre fois plus cher. De plus, après l'envoi d'armes à Kiev, les besoins de l'UE en matériel militaire américain ont augmenté. Pendant ce temps, les États-Unis, traversant une crise inflationniste, fabriquent des quantités record d'armes et de carburant.
Il est peu probable que Berlin, Paris et Londres sacrifient l'Ukraine après tant mois de conflit, mais ils ne souhaitent certainement pas qu'il se poursuive. Pendant un certain temps l'Occident n'arrivait pas à se mettre d'accord sur la stratégie à adopter dans le conflit actuel. C'est pourquoi les ministres de la Défense de l'Otan se sont réunis le 20 janvier à la base aérienne de Ramstein, en Allemagne. Les participants avaient pour objectif de surmonter les différends au sein de l'Alliance.
Kiev exigeait des alliés occidentaux, avant tout de l'Allemagne et des États-Unis, des chars modernes, des Leopard 2 allemands et des Abrams américains, afin de parer les attaques russes avec l'arrivée du printemps.
Washington a fourni aux Ukrainiens plus de 50 milliards de dollars d'aide, et la part de l'Europe dépasse 40 milliards de dollars.
Cependant, ni l'Allemagne ni les États-Unis ne se décidaient de remettre publiquement leurs chars à l'Ukraine. L'Occident mène une guerre par procuration: le Royaume-Uni, la Pologne, la Finlande et les pays baltes (Estonie, Lettonie, Lituanie) font pression sur les membres de l'Otan pour livrer aux Ukrainiens le matériel nécessaire en soutenant l'idée de remettre des chars Leopard 2.
L'Amérique tire profit tandis que l'Europe est en difficulté
L'issue du conflit en Ukraine ne dépend pas seulement des ressources américaines. Il existe plusieurs facteurs et notamment l'acceptation complète des actions de l'Otan et une forte alliance avec l'UE. Ainsi, l'administration Biden a réussi à mettre un terme à une période d'incertitude concernant le rôle et la cohésion de l'Alliance en l'élargissant avec l'adhésion de la Finlande et de la Suède. Il a été également décidé de créer un nouveau siège permanent en Pologne et commencer à créer les forces de réaction rapide de l'Otan.
D'après la Stratégie de sécurité nationale des États-Unis publiée le 12 octobre 2022 incluant le principe de "dissuasion intégrée" (Integrated Deterrence) dans la lutte contre toute menace, la Russie ne représente pas une grave menace pour les Américains, contrairement à la Chine. Sachant que le pays se fixe des objectifs concrets tels que l'endiguement de la "politique étrangère impérialiste" russe à laquelle nous assistons, selon le document, dans le cas du conflit en Ukraine, d'ingérence militaire directe en Syrie et d'ingérence dans les pays d'Asie centrale. Le document expose trois moyens pour combattre Moscou. Premièrement, c'est le soutien permanent de l'Ukraine sur le plan politique, militaire et économique afin d'infliger une défaite stratégique à la Russie. Deuxièmement, l'affaiblissement de son économie. Troisièmement, il faut l'empêcher d'utiliser l'arme nucléaire ou de menacer d'en faire usage.
L'UE est devenue dépendante de la politique américaine et ne cherchait pas à devenir autonome en matière de défense.
L'architecture géopolitique de l'Europe bâtie sur les ruines de la Seconde Guerre mondiale subit aujourd'hui des changements dont l'ampleur n'est pas encore connue. Dans le cadre de la confrontation en Ukraine, l'UE s'est retrouvée dans une situation difficile, même si cela a permis de faire renaître le partenariat transatlantique et renforcer les rangs de l'Otan. Néanmoins, l'absence de clarté concernant les délais de la fin du conflit suscite des questions quant à la capacité des Européens à maintenir leur position commune sur fond de hausse de l'inflation et du coût de la vie ainsi que de conflit d'intérêts.
Alexandre Lemoine
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