27.04.2023
Dans le cadre du nouveau caractère des relations russo-occidentales qui s’est instauré depuis le début de l’année 2022, la suspension par la Russie de sa participation au traité sur la réduction des armements stratégiques offensifs Start II/SNV III n’a été qu’une suite logique et parfaitement prévisible: face à la menace déclarée et partiellement mise en œuvre par l’Occident vis-à-vis de la Russie, cette dernière a procédé à la suppression légale des restrictions au développement de son armement stratégique.
Une réponse appropriée. Dans les clauses du traité Start II, il est stipulé que chacune des parties prenantes de l’accord dispose du droit de le quitter dans le cas de changement significatif des circonstances: «si elle considère que les circonstances exceptionnelles liées au contenu du présent accord ont mis en péril ses intérêts suprêmes» (article 14, paragraphe 3).
La fixation par l’Occident comme objectif de «la défaite stratégique de la Russie» et les nombreuses déclarations officielles de ce dernier dans ce sens est un changement significatif des circonstances qui a reçu une réponse appropriée.
Par ailleurs, depuis plusieurs mois, les Etats-Unis ont réclamé à de multiples reprises leur droit d'inspection des sites stratégiques russes, aussi étonnant que cela puisse paraître dans les circonstances politiques actuelles. L’inadmissibilité de la présence des visites de contrôle des sites de défense stratégique du pays par les représentants de l’état-ennemi avec lequel, de facto, la Russie se situe en état de guerre était une évidence. Ceci est sans négliger le fait que les Etats-Unis, de leur côté, ont procédé à la création d’obstacles artificiels à la réciprocité des visites prévues par l’article 11 du traité en vigueur, via la non-délivrance des visas américains aux contrôleurs russes et la fermeture de l’espace aérien américain aux avions russes qui pourrait les amener sur le sol américain, ce qui, de jure, vaut sa violation directe.
L’officialisation de la démarche de Moscou par l’adoption suivie de la ratification de loi fédérale le 23 février 2023 a été entreprise, afin de rester dans la stricte légalité vis-à-vis des engagements internationaux signés et ratifiés par la Fédération de Russie et de ne pas créer un précédent permettant aux adversaires d’instrumentaliser une hypothétique violation des engagements russes dans le cadre du droit international en vigueur.
Cela étant, avec le gel de sa participation dans le traité, Moscou souligne qu’elle continuerait à «respecter strictement les limites quantitatives des armes stratégiques offensives» indépendamment du présent accord russo-américain, mais qu’elle serait «prête à des essais d'armes nucléaires» si Washington en effectuait en premier.
La traduction de ce nouveau pas stratégique russe est sans équivoque: vu l’hostilité ouverte et croissante de l’Occident gravitant autour des Etats-Unis vis-à-vis de la Russie, il est exclu que nous continuions à exposer nos forces nucléaires au contrôle par l’ennemi, toutefois, n’avisez pas de profiter de cette nouvelle disposition pour faire croître les vôtres.
Une excellente nouvelle pour les États-Unis. Suivant la déclaration russe, toute une pluie de réactions d’indignation émanant du camp atlantiste a eu lieu. Parmi elles, considérer comme non hypocrite les paroles du chef de la diplomatie américaine, Antony Blinken, que la rupture de New Start par la Russie est «très décevante» serait la preuve d’une grande légèreté.
À la suite des retraits unilatéraux des États-Unis de l’intégralité des accords internationaux clés sur le contrôle des armements nucléaires, hormis celui sur la non-prolifération des armes nucléaires, signé en 1968, et de Start-II: retrait en juin 2002 du traité ABM sur la limitation des systèmes de défense contre les missiles balistiques, retrait en mai 2018 de l’accord de Vienne sur le nucléaire iranien, retrait en août 2019 du traité INF sur les missiles nucléaires à portée intermédiaire et le retrait en mai 2020 du traité Ciel ouvert sur la vérification des mouvements militaires et de la limitation des armements – l’initiative russe de février 2023 est bien une excellente nouvelle pour les stratèges américains.
Les pays membres de l’Union Européenne, depuis plus de 30 ans, ont acquis une certitude qu’à l’avenir des horizons visibles, ils ne seront plus confrontés à des menaces existentielles – qualifiées comme telles à tort ou à raison – et ne seront plus engagés dans des conflits majeurs nécessitant des actifs militaires considérables, à la suite de quoi une politique générale du désinvestissement dans des secteurs de la défense a été mise en place et menée depuis avec un succès indéniable.
Toutes les initiatives émanant des parties partisantes d’une Europe indépendante et forte non seulement économiquement, mais aussi militairement, ont été contrecarrées.
Notamment, le freinage constant au niveau de la quasi-intégralité des accords dans le domaine de la coopération des industries de l’armement entre deux moteurs du cœur de l’Union Européenne, la France et l’Allemagne – qui pourraient mener au développement significatif de l’industrie de défense européenne, entrepris ces dernières années par le pouvoir allemand politiquement dominé par les Etats-Unis – a paralysé la possibilité de la création d’un véritable bloc de défense européenne autonome.
Cette neutralisation a mené vers plusieurs succès majeurs de la politique étrangère américaine: l’affaiblissement significatif du concurrent européen dans le domaine de l’armement, l’élargissement du marché pour l’industrie américaine de l’armement sur le sol européen et, surtout, comme déjà mentionné, la neutralisation du danger de la création du bloc de défense européenne autonome des Etats-Unis.
En réponse aux événements qui ont lieu depuis le début de l’année 2022, dans les 10 ans à venir, au moins, des investissements considérables auront lieu dans le réarmement, d’une part, de la Russie, d’autre part, de l’Union Européenne.
Si du côté de la Russie, c’est l’industrie nationale de défense qui verra l’accroissement significatif de ses activités qui sont déjà, depuis plus de 10 ans, sur les rails du développement progressif; du côté de l’U.E, ce sont les Etats-Unis qui exécuteront le rôle majeur dans le réarmement du vieux continent, ce qui mènera bien vers la création d’une véritable force de défense européenne, mais qui aura aucune autonomie vis-à-vis de son mentor et sous-traitant d’outre-Atlantique.
Il est également important de noter que les Etats-Unis utilisent contre l’économie concurrente de l’Union Européenne la stratégie sous-jacente du «retour de l’ascenseur», qui sera également incriminée à la Russie: lors de la guerre froide, l’Occident a utilisé contre l’Union Soviétique la baisse significative du cours des énergies fossiles jumelée à l’augmentation considérable des dépenses militaires dans la course imposée aux armements, afin de faire effondrer son économie.
Aujourd’hui, c’est l’économie européenne qui se situe au bord de la récession, accompagnée d’une augmentation sans précèdent du cours des énergies fossiles jumelée à l’augmentation considérable des dépenses militaires dans la course aux armements qui n’est plus évitable à la suite de l’abandon par la Russie de sa participation au traité sur la réduction des armements stratégiques offensifs.
A la suite de ces processus, un nouvel équilibre géostratégique sera instauré. L’équilibre ne sera plus basé sur les accords, les traités et les partenariats entre la Russie et l’Occident, mais sur la parité militaire rajusté en flux tendu entre les parties.
à suivre
Oleg Nesterenko, Président du Centre de Commerce & d'Industrie Européen
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