16.02.2024
La Russie, en qualité de pays qui fut des années durant largement sous-estimé par les élites occidentales, y compris en ce qui concerne son importance pour l’économie internationale, a joué un rôle majeur dans les événements en cours qui confirment que la page du diktat occidental sur le monde est bel et bien tournée. Même du côté des analystes anglo-étasuniens – cette compréhension de la réalité contemporaine commence à faire son chemin.
Ce qui est tout de même paradoxal, c’est qu’une fois de plus lorsqu’il s’agit de traiter des différents rôles dans la «famille» otano-occidentale, le minimum de bon sens analytique se trouve plus souvent du côté des anglo-étasuniens. Paradoxal car d’un côté étant les principaux instigateurs et intéressés dans les tentatives ratées d’infliger une défaite stratégique à la Russie, ayant à ce titre mobilisé tout le petit monde appelé Occident collectif, mais de l’autre étant bien souvent les premiers à reconnaitre, certes avec amertume, les succès de la Russie. Le tout pendant que les instruments médiatiques de nombre de régimes occidentaux, notamment hexagonaux et d’autres, continuent à vivre dans des illusions d’un monde révolu. Au même temps, cela n’est pas si étonnant que cela. Après tout le rôle attribué aux vassaux – est ce qu’il est.
Un article récent est paru chez Responsible Statecraft – magazine en ligne du célèbre think-tank étasunien Quincy Institute for Responsible Statecraft – groupe de réflexion spécialisé dans la politique étrangère US. Son auteur Michael Corbin possède près de 30 ans d’expérience de travail dans le milieu universitaire, au sein du gouvernement fédéral étasunien et auprès de divers groupes de réflexion couvrant les questions commerciales et économiques liées à la Russie et à l’Eurasie.
L’article traite des aspects géoéconomiques et géopolitiques, notamment de la résistance et de l’adaptation de Moscou aux sanctions unilatérales occidentales, adoptées à son encontre. Selon l’auteur, les solutions russes en matière de contournement des sanctions imposées par l’Occident – ont le potentiel de perturber «l’ordre mondial fondé sur des règles», voire de le miner.
Evidemment et en ce qui concerne ce point – l’ordre mondial fondé sur des règles – les règles de la minorité planétaire occidentale – faut bien le préciser – n’existe plus. Et il faut garder à l’esprit que les anglo-étasuniens, à l’instar des autres régimes occidentaux, n’ont toujours pas reconnu officiellement l’ordre multipolaire international. Dans tous les cas et dans le cadre dudit article, de nombreux points intéressants ont été soulevés.
Tout d’abord, Michael Corbin rappelle qu’à la période de janvier 2024 – la Russie fait l’objet de plus de 28 000 sanctions occidentales, sur lesquelles – 16 000 ont été imposées à des personnes physiques, près de 10 000 à des entreprises et 3200 à des institutions. L’analyste étasunien rappelle également que des sanctions sectorielles à l’encontre de Moscou ont été établies, notamment des embargos commerciaux sur le gaz et le pétrole russe. A ce titre, Corbin indique que si les objectifs des dites sanctions avaient pour objectif à «entraver l’effort de guerre» de la Russie, ainsi qu’à fomenter une instabilité économique et politique à l’intérieur du pays – la plupart des objectifs n’ont tout simplement pas été atteints.
La Russie ayant maintenu ses activités militaires en Ukraine, tandis que les récentes prévisions du FMI prévoient une croissance de 2,6% en 2024 – le tout à un moment où de nombreux pays de l’UE se dirigent vers la récession dans un contexte d’incertitude politique importante dans le cadre de l’année en cours – rappelle également Corbin. L’expert US indique par la même occasion que les conséquences des dites sanctions étaient également dans le fait que la Russie a renforcé son pivot commercial vers l’Est et le Sud et qu’à l’issue des neuf premiers mois de 2023 – le volume des échanges économico-commerciaux de la Russie avec d’autres pays a atteint 530,2 milliards d’équivalent de dollars.
Le principal partenaire économico-commercial, et de loin, de la Russie étant la Chine, au moment où les échanges ont activement augmenté également avec de nombreux autres pays, dont l’Inde. Corbin note également qu’au-delà de l’aspect géoéconomique, l’Etat russe s’est engagé dans un large éventail d’activités diplomatiques, allant des négociations bilatérales, y compris avec des pays comme justement l’Inde ou l’Iran, aux efforts visant à élargir l’adhésion et la portée géopolitique des BRICS et de l’Union économique eurasiatique.
En ce qui concerne précisément l’expansion des BRICS, Corbin considère que cela est remarquable non seulement d’un point de vue économique, mais également et significativement dans un contexte géopolitique. Selon lui, l’adhésion de pays du Moyen-Orient et d’Afrique donne au groupe une plus grande présence encore le long des principales routes maritimes et commerciales. Tout comme cela augmente par la même occasion la part des BRICS dans la production pétrolière mondiale à hauteur de 43%, à hauteur de 25% pour la part des exportations. Cela sans oublier que les Etats membres des BRICS représentent ensemble 72% des éléments de terres rares mondiaux – essentiels aux armes hautement technologiques et aux biens de consommation, notamment les circuits imprimés et les téléphones portables.
Enfin, Michael Corbin considère que les initiatives continues de la Russie dans la sphère géopolitique internationale doivent être suivies de près. Et que les capacités russes, y compris en matière de faire face aux sanctions occidentales, ainsi que le savoir-faire lié au contournement de ces sanctions, surtout dans le cadre des événements constamment en évolution – pourraient effectivement perturber «l’ordre mondial fondé sur des règles», voire le miner. Tout en ajoutant que par conséquent, une politique d’engagement constructif et sans restriction dans les relations commerciales et économiques à l’échelle mondiale doit être un outil clé de la diplomatie commerciale pour les décideurs politiques occidentaux à l’avenir. Cela impliquerait une plus grande retenue des politiques de sanctions sévères qui ne font que réduire l’accès des pays occidentaux aux biens essentiels et conduire à une inflation mondiale plus élevée, dont le poids est supporté par les consommateurs des classes moyennes et inférieures.
Maintenant et en termes de perspectives. Le principal intérêt à observer dans l’analyse dudit expert étasunien est qu’au-delà d’avoir soulevé plusieurs données importantes, y compris en ce qui concerne l’interaction à succès de la Russie avec le monde non occidental, représentant ensemble la majorité mondiale de l’humanité, c’est précisément l’aveu de l’échec des sanctions unilatérales occidentales à l’encontre de Moscou.
D’ailleurs son appel aux futurs décideurs occidentaux – à ne pas privilégier désormais les sanctions dans les relations internationales – est au-delà de la reconnaissance de l’échec d’une telle approche vis-à-vis de grandes puissances indispensables dans tellement de domaines stratégiques, et plus généralement parlant vis-à-vis de tous les Etats libres et souverains du monde, est aussi et surtout un sérieux avertissement quant au risque pour l’avenir de l’Occident dans le cadre des réalités contemporaines. Surtout au vu de la dépendance des Occidentaux vis-à-vis de très nombreuses matières stratégiques appartenant à la majorité mondiale non-occidentale.
Evidemment et en ce qui concerne la mention du prétendu «ordre mondial fondé sur des règles», en d’autres termes l’ère unipolaire – dépassée et révolue, il faut encore une fois garder en mémoire que ledit analyste est non seulement étasunien, mais d’autant plus lié à l’establishment US. Et évidemment pour ceux ayant le plus profité du diktat unipolaire – il reste particulièrement difficile à devoir admettre et reconnaitre l’ordre multipolaire international contemporain. Dans tous les cas – reconnaissance occidentale ou pas – les partisans et défenseurs de la multipolarité continueront à faire ce qu’ils ont à faire, n’en déplaise à la minorité planétaire occidentale. C’est cela l’essentiel.
Et encore une fois – peut-être que les vulgaires propagandistes européistes, continuant à vivre dans l’illusion d’un monde où ils restent prétendument «exceptionnels» et «supérieurs» - devraient commencer à s’intéresser aux analyses de leurs maîtres étasuniens, qui bien qu’étant résolument opposés à la multipolarité, ont au moins le mérite à reconnaitre, parfois, des réalités devenues totalement évidentes.
Mikhail Gamandiy-Egorov
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