Tewfik Hamel est consultant international, chercheur en Histoire militaire et études de défense à l'Université Paul Valéry, chef de la rédaction d'African Journal of Political Science et membre du conseil consultatif de Strategia (Madrid). Le président algérien Bouteflika a quitté le pouvoir, M. Tewfik Hamel nous donne son expertise.
Observateur Continental: Comment est la situation de l'Algérie maintenant ?
Hamel: Les Algériens se réjouissent et se projettent dans l’avenir avec un goût amer. Les défis, qui les attendent, sont énormes. Le départ du président ne leur suffit pas : « beaucoup de mousse, mais pas beaucoup de bière ».
O.C.: Qui va gouverner le pays ?
Hamel: D’un point de vue constitutionnel, c’est le Président du Conseil de la Nation, Abdelkader Bensalah, qui assumera la charge de Chef de l’État durant 90 jours au maximum, une période au cours de laquelle des élections présidentielles sont organisées. En vertu de l’article 104 de la constitution, le gouvernement désigné par l’ex-président Bouteflika, « ne peut être démis ou remanié jusqu’à l’entrée en fonction du nouveau Président ». Toutefois, la personnalité de Bensalah et le gouvernement de Noureddine Bedoui ne font pas consensus et sont rejetés par la Rue. L’armée a suggéré que les dernières décisions ne venaient pas du président lui-même, mais de « force extraconstitutionnelles ».
O.C.: Retour des islamistes ? Des militaires ?
Hamel: Les islamistes ne pèseront pas sur l’avenir de l’Algérie. La contestation venait de l’université et des étudiants, et non pas des mosquées comme c’était dans la décennie 1990. L’islamisme en tant que force politique n’a pas d’avenir en Algérie.
L'Armée algérienne a eu un rôle politique important. Mais le peuple algérien veut neutraliser le rôle politique des militaires. La fragilité de la situation intérieure, l’insécurité aux frontières, le retour de la géopolitique, les interventions étrangères risquent de retarder son retrait de la scène politique.
O.C.: L'Algérie de Bouteflika fut l'alliée de la Russie. Va-t-elle basculer vers l'OTAN ?
Hamel: Alger et Moscou sont en faveur d’un monde multipolaire respectant la légalité internationale dans lequel l’action de la communauté internationale repose sur les principes de l’ONU. Elles prônent une stratégie ferme contre le terrorisme et sont hostiles aux stratégies de « changement de régime ». L’OTAN suscite une aversion et une méfiance stratégique dans l’imaginaire algérien. La démocratisation de l’Algérie ne changera pas la nature de ses Alliances. Les contrats d’armement sont porteurs de relations structurelles. On ne peut pas les défaire du jour au lendemain.
O.C.: Assistons-nous à un ''regime change'' ? De qui ?
Hamel: Des puissances impérialistes de l’OTAN en particulier les Etats-Unis ne ratent aucune occasion si elles estiment que leur plan pourrait réussir. Les Algériens sont conscients de cette réalité et ont rejeté toute ingérence étrangère. Les Algériens tiennent à leur indépendance et l’Algérie connaît un sursaut démocratique qui est le produit de la transformation profonde de la société algérienne.
O.C.: Que pensez-vous de l'analyse des média occidentaux ?
Hamel: Les médias occidentaux cherchent plutôt à faire le buzz. Ils ont une lecture partielle et fragmentée de la réalité algérienne. Souvent la lecture de ces média coïncide avec l’agenda politique.
O.C.: L'Algérie est une source de surprises. Quelles surprises allons-nous voir ?
Hamel: L'un des exemples du nationalisme radical du tiers-monde, l'histoire moderne de l'Algérie, est l'un des excès. La période coloniale a particulièrement été longue, la guerre de libération particulièrement coûteuse, ensuite, après l’indépendance, la nationalisation de l'économie a été profonde. L'insistance sur la règle du parti unique a été sans faille et les projets d'industrialisation ont été trop ambitieux. Elle fut également le pays qui a pris les mesures les plus spectaculaires en matière de démocratie libérale en 1989-1991. Par la suite, le pays a sombré dans une violence sanglante nullement connue ailleurs et a pu neutraliser la menace du terrorisme islamiste sans le soutien extérieur. Bref, aujourd’hui les Algériens se projettent dans l’avenir avec confiance. Les manifestants ont rendu fiers même le « système ». L’Algérie est face à un tournant historique démocratique et il y a une volonté de réussir de cette transition.